[Article] le 01 Mar 2023 par

Les Bedir Khan et leur rôle dans le patriotisme kurde

Dans l’histoire de toutes les nations, certaines personnalités et familles jouent un rôle important, c’est le cas des Bedir Khan. Ils ont régné pendant des décennies dans la région de Cizîra Botan et sont également connus sous le nom d’Azîzan ou Azîzî.

A l’époque de l’Empire ottoman, le prince Bedir Khan fut le dernier de cette famille, il régna de 1835 à 1847. Pendant douze ans il fit dire la prière du vendredi à son nom, la Khoutba et frapper monnaie sur laquelle était écrit : « Bedir Khan, Prince de Botan ». Ce qui montre sa force et son pouvoir.

Au cours de son règne, il a bâti une région impérieuse et très bien administrée. Une grande partie du Kurdistan était sous son pouvoir. Ses hommes ont parfois réprimé les Yézidis et les Nestoriens et sont allés jusqu’à tuer des milliers d’entre eux.

Le prince Bedir Khan fit alliance avec les autres princes kurdes. Dès lors, il ne prit guère en considération le pouvoir ottoman. Les consuls français et anglais incitèrent les Ottomans à mettre un terme à sa souveraineté. Ces derniers envoyèrent d’importantes forces militaires, en 1847, pour reprendre autorité au Kurdistan. Le prince Bedir Khan finit par être obligé de se rendre.

Après la répression de sa révolte, les Ottomans reconquirent le Kurdistan. L’Etat Ottoman distribua une médaille nommée « Kurdistan » aux commandants de la guerre contre le prince Bedir Khan, ce qui montre à quel point cette révolte était grave aux yeux de l’Etat.

Les commandants ottomans conduisirent le prince Bedir Khan et sa famille à Istanbul, puis le Sultan Abdlülmecid le fit exiler en Crète.

Après dix ans d’exil, il fut gracié et on lui donna le titre de pacha. Il retourna alors à Istanbul. En 1867, il partit à Damas et, n’obtenant jamais la permission de retourner au Kurdistan, il y resta jusqu’à la fin de sa vie. Cette interdiction était également valable pour ses enfants, et l’Etat veilla particulièrement au respect de cette règle.

La guerre entre l’Etat et les alliés du prince Bedir Khan a beaucoup marqué la population de cette région. Au point que les chansons de geste exaltant la bravoure du prince, sont toujours entonnées, 170 ans après !

La famille du prince Bedir Khan était très nombreuse. Dans sa « me’rûzatname / requête » adressée au Premier ministre ottoman, il indique que sa famille compte 110 personnes. (1) Selon son petit-fils Mehmed Salih Bedir Khan, le prince s’est marié seize fois. L’une de ses femmes est sa cousine, les ­autres sont issues de tribus yézidies. (2) Après son décès, il a laissé vingt-et-un fils et vingt-et-une filles. (3)

Les fils du prince Bedir Khan ont grandi en Crète et à Istanbul. La plupart d’entre eux ont reçu une bonne éducation et occupèrent des postes importants dans la bureaucratie militaire et civile. Sept d’entre eux obtinrent le titre de pacha et leur influence se fit de plus en plus importante à Istanbul. En 1906, le Maire d’Uskudar, Ridvan pacha, fut tué par quelques Kurdes. On suppose que Ebdurezaq Bedir Khan les y avait incité, mais les autres Bedir Khan n’y étaient pour rien. En dépit de cela, le sultan Abdülhamid, sous prétexte du meurtre de Ridvan pacha, exila tous les Bedir Khan ainsi que des centaines d’autres Kurdes. J’ai relevé dans les archives ottomanes les noms de 178 de ces exilés (4) relégués à l’étranger : à Tripoli (Trablusgarb), au Yémen, à Damas, à Hama, à Rhodes etc. Parmi eux, également des enfants. Par exemple, un jour, ils récupérèrent Celadet, Kamuran, Sureya et neuf autres enfants Bedir Khan de l’école du sultan (Lycée de Galatasaray) qui partirent en exil avec leurs familles. (5)

Après la déclaration de la Constitution, en 1908, les Bedir Khan purent revenir à Istanbul, exceptés Ebdurezaq et Eli Șamil.

Les Bedir Khan sont des pionniers dans la plupart des activités patriotiques kurdes. Les membres de cette famille ont expérimenté toutes sortes d’activités et de luttes pour la cause de leur peuple. Nous pouvons classer comme suit ces activités :

La lutte armée L’organisation des institutions Les activités culturelles et linguistiques Les activités journalistiques La lutte politique et diplomatique

1 - LA LUTTE ARMEE

J’ai montré précédemment que certains Bedir Khan ont expérimenté diverses méthodes de lutte, dont la lutte armée, mais sans succès. Par exemple :

En 1878, Huseyin Kenan pacha Bedir Khan et son frère Osman pacha allèrent dans la région de Botan pour organiser une révolte qui n’aboutit pas. En 1889, Emin Ali Bedir Khan et son frère Mîdhet beg d’Istanbul allèrent à Trébizonde et, de là-bas, tentèrent de partir au Kurdistan pour organiser un mouvement. Ils furent cependant arrêtés et ramenés à Istanbul. En 1912, Huseyin Kenan pacha et son frère Hasan allèrent au Kurdistan pour organiser une émeute avec le soutien des Russes, mais n’y parvinrent pas. En 1927, l’organisation Khoyboun fut fondée avec, entre autres, comme membres fondateurs : Celadet, Kamuran, Sureya et Khalil Ramî Bedir Khan. L’insurrection du mont Ararat, placée sous le commandement d’Ihsan Nûrî pacha, a été organisée avec le soutien de Khoyboun.

En 1930, Khoyboun décida d’envoyer quelques groupes armés au nord du Kurdistan pour qu’ils combattent la Turquie afin d’alléger le fardeau du soulèvement du mont d’Ararat.

Celadet Bedir Khan et Haco Agha, avec leurs groupes, parcoururent l’ouest et le nord du Kurdistan. Ils s’installèrent dans la région d’Hevêrkan, néanmoins ils ne réussirent pas, et rebroussèrent chemin vers l’ouest, pour retourner au Kurdistan de Syrie. (6)

2 – L’ORGANISATION DES INSTITUTIONS

Après le constitutionalisme, dans le cadre de la revendication des droits démocratiques à Istanbul, certains Kurdes commencèrent à lutter dans différentes organisations. Quelques fils et petit-fils du prince Bedir Khan en devinrent des leaders ou des membres actifs. Par exemple :

En 1908, à Istanbul, « Kürd Teavün ve Terakki Cemiyeti/ Organisation Kurde d’entraide et du progrès » fut fondée et sous le même nom, un journal publié. Emin Ali Bedir Khan en était le membre fondateur. En 1910, encore à Istanbul, « Kürd Neșr-i Maarif Cemiyeti / Organisation artistique et culturelle kurde ». Emin Ali, Evdirehman, Midhet et Kamil Bedir Khan en étaient les membres fondateurs. De même en 1910, « Kürd Talebe-Hêvî Cemiyeti / Organisation des étudiants kurdes »: Asaf et Halil Rami Bedir Khan en étaient membres actifs. En 1913, avec l’aide de Simko Șikakî à Xoy, Evdirehman Bedir Khan fonda « Komeleya Gîhandinê / Organisation éducative ». En 1918, à Istanbul « Kurdistan Teali Cemiyeti / La société de soutien du Kurdistan ». Plusieurs Bedir Khan en furent membres. Une seconde fois, en 1918, au Caire, « Kürd İstiklal Komitesi / Le comité de l’Indépendance kurde ». Sureya Bedir Khan en était le secrétaire de Comité. En 1920, « Kürd Teşkilat-ı İctimaiye Cemiyeti / Association d’organisation sociale kurde ». Emin Ali Bedir Khan en était le président.

En 1910, deux écoles kurdes ont été ouvertes. L’une de ces écoles le fut de la part de l’organisation « Kürd Neșr-i Maarif Cemiyeti/ Société kurde pour la diffusion de l’instruction », elle s’appellait : Kürd Meşrutiyet Mektebi / Ecole de constitutionalisme kurde » Son directeur était Evdirehman Bedir Khan.

« Komelaya Gihandinê / Association de formation » fondée par d’Evdirezaq Bedir Khan qui a ouvert une deuxième école en 1913, à Xoy. Remarquable nouveauté, les caractères cyrilliques furent adoptés afin d’enseigner le kurde dans cette école.

Ces deux écoles étaient des écoles modernes, elles n’étaient pas comme les anciennes « médressa/ école coraniques ».

3 – LES ACTIVITES CULTURELLES ET LINGUISTIQUES

Plusieurs Bedir Khan ont servi la langue et la culture écrite kurde.

Pour la première fois, à cette époque, des articles en dialecte kurmandji ont été publiés dans des journaux et revues kurdes. Auparavant, on n’écrivait qu’en vers… Dans ces journaux et revues, la prose kurmandji fut écrite par Midhet, Evdirehman, Celadet, Kamuran et Sureya Bedir Khan.

Celadet Alî Bedir Khan

Il a adapté l’alphabet latin à la langue kurde en 1932. Puis, il a publié un ouvrage de grammaire et un dictionnaire en kurmandji.

Kamuran Bedir Khan

Il a entrepris un dictionnaire kurde/français et établi une grammaire sur laquelle il a publié quelques ouvrages.

Sureya Bedir Khan

  • Sureya Bedir Khan a présenté ces communications lors de rencontres internationales :
  • XVIème Congrès International d'Anthropologie, Bruxelles, 1935, « Cités et campagnes du Kurdistan ».
  • XVIème Congrès International d'Anthropologie, Bruxelles, 1935, « La littérature populaire et classique kurde ».
  • XVIème Congrès International d'Anthropologie, Bruxelles, 1935, « La femme kurde et son rôle social ».
  • En 1913, il a publié un article intitulé « Kürtlerde Kadın Meselesi / La question des femmes chez les Kurdes » en turc dans le journal de Roji kurd.
  • Mem o Zine (poème kurde), L'Ethnographie N. S., 24 (1931), s.4-6
  • Dr Bletch Chirguh [Sureya Bedir Khan], « La question kurde, ses origines et ses causes », Le Caire, 1930

4 – LES ACTIVITES JOURNALISTIQUES

Dans les travaux journalistiques kurdes quelques Bedir Khan sont à l’avant-garde :

-    Miqdad Midhet Bedir Khan a publié le premier journal kurde nommé Kurdistan en 1898, au Caire. Ensuite c’est son frère Evdirehman qui prit le relais et en poursuivit la publication.

-    Evdirehman Bedir Khan écrivit ainsi dans ce journal :

« Il y a cinq cent ans, il n’y avait pas de Turcs dans notre pays. Ils sont venus dans notre pays du Touran et ils sévissent dans notre propre pays. Leurs rois qui sont tous cruels et sanglants, ils se nomment califes, et appliquent ainsi toutes sortes de persécutions. (...)

Jadis, nous avions non seulement un Etat, mais nous avions aussi le droit de nous exprimer. Quel dommage que nous ayons manqué l’occasion. (...) Que notre chef soit kurde, pourquoi devrions-nous rester sous le joug des Turcs ? (...)

Les Arméniens sont dans la même situation, mais ils s’unissent. Préparons tous ensemble un bon avenir, sauvons-nous tous ensemble de la persécution des Turcs. (…) (7)

L’Etat construit des grandes écoles pour les Turcs. Il prend l’argent des Kurdes, et le dépense pour les Turcs. Les pauvres Kurdes sont des esclaves de cet Etat. » (8)

Ils s’adressent aux Kurdes et montrent les Albanais comme exemple :

« Eh les Kurdes, il faut savoir apprendre des autres ! Si les Turcs n’écoutent pas vos paroles, prenez vos sabres, et les Turcs vous prendront en considération ! » (9)

Ces paroles furent importantes, parce qu’elles évoquaient clairement le pouvoir turc, la persécution des sultans, la captivité des Kurdes. Elles réveillèrent la conscience patriotique. J’en parlerai plus loin. C’est ainsi que les Bedir Khan eurent une influence idéologique et politique sur les Kurdes.

  • Salih Bedir Khan a publié les journaux suivants : Ummid / Espoir (1900, le Caire), Yekbûn / Union (1913). Ce n’est pas par hasard qu’il a utilisé le pseudonyme « Muncî-i Kurdî » dans Yekbûn, qui signifie : « le sauveur kurde ».
  • Sureya Bedir Khan a publié deux fois un journal qui porte le nom de son pays : Kurdistan (1909, Istanbul) et Kurdistan (1917, le Caire)
  • Celadet Bedir Khan a publié les revues suivantes : Hawar / Appel (1932), première revue en caractères latins et Ronahî / Lumière (1942).
  • Kamuran Bedir Khan a publié les journaux Roja Nû / Nouveau Jour (1943) et Stêr / Etoile (1943) en caractères latins.

5- LES ACTIVITES POLITICO-DIPLOMATIQUES

Les intellectuels kurdes ont commencé leurs activités politiques au début de 20ème siècle. Comment y sont-ils arrivés ? Sureya Bedir Khan raconte qu’au début, les princes kurdes ont voulu avoir le droit à l’autonomie et à l’enseignement dans leur langue. Cependant, une fois que l’Etat s’y fut opposé et eut interdit les organisations kurdes, ils commencèrent à s’organiser politiquement. (10)

Au cours de la Première Guerre mondiale, des milliers de Kurdes furent exilés. Selon les paroles de Evdirehîm Rehmî de Hekarî [Zapsu], ces Kurdes étaient « les restes de la lame de l’épée, détruits pour toujours par l’immigration forcée. » La démographie du Kurdistan a été bouleversée, son potentiel économique s’est effondré.

Après la Première Guerre mondiale, il y eut deux options pour la lutte patriote des Kurdes. Celle de l’autonomie et celle de l’indépendance, pour ceux qui voulaient rompre avec l’Etat ottoman.

Les Bedir Khan, en majeure partie, étaient dans le groupe des indépendantistes, notamment les fils de Bedir Khan ; Xelil Rami, Ebdurehman, Emin Ali et ses fils ; Sureya, Celadet et Kamuran.

Evdirezaq et Kamil Bedir Khan ont noué des relations avec les Russes. Ils voulaient avoir leur soutien pour fonder une principauté kurde, mais ils n’y parvinrent pas. Au cours de la Première Guerre mondiale, ils rejoignirent l’armée russe et participèrent à la guerre contre les Ottomans. Enfin, les responsables du comité turc Union et Progrès usèrent de ruse envers Evdirezaq et le tuèrent en l’empoisonnant. Kamil partit à Tiflis où il resta jusqu’à la fin de sa vie.

5.1 - KURDISTAN TEALI CEMIYETI

Organisation de soutien du Kurdistan (1918, Istanbul)

En 1918, l’Organisation d’entraide au Kurdistan fut fondée à Istanbul. Emin Ali en fut le membre fondateur et le vice-président.

Voici une anecdote intéressante à ce propos, afin de mieux comprendre la situation, que raconte l’écrivain turc, Cahit Tanyol:

«… Yahya Kemal m’a raconté ce qui s’est passé entre lui et Suleyman Nazif : Un jour, à Beyoglu, je suis tombé sur Suleyman Nazif. Il était content de me voir. ‘S’il te plait Yahya Kemal, je voudrais te parler d’une chose importante’. Nous sommes allés dans un restaurant. Je lui ai demandé de quoi il voulait me parler. ‘On fonde une Organisation d’entraide kurde à Istanbul. Quand il m’a dit, ‘je veux que tu en sois membre aussi’ j’étais surpris. Je ne savais pas quoi dire, cependant il m’expliqua. ‘Mon cher tout le monde déteste les Turcs et le nom même de turc. Ils ne vont pas permettre que la nation turque respire. Je pense qu’il est possible, de s’en sortir au nom des Kurdes, on peut alors sauver le pays.’ Nous avons parlé longuement de ce sujet. Finalement c’est lui qui y a renoncé. » (11)

Kurdistan Teali Cemiyeti / Organisation d’entraide du Kurdistan, fondée en 1918 : 19 branches. Celles que nous connaissons sont les suivantes :

  1. İstanbul (centre) (1918)
  2. Diyarbekir (1918)
  3. Eleziz / Xarpêt (1919)
  4. Xinis (1919)
  5. Dêrik
  6. Région de Qoçgîrî (à Umraniye, Beypınar, Celallı, Sincan, Hamo, Zmara Domurca)
  7. Xozat (Dersim)
  8. Bedlîs
  9. Erzirom
  10. Wan
  11. Sêrt (1919)
  12. Mûş
  13. Bazîd
  14. Erebgir (1919)
  15. Xerzan (1919).

Cette organisation avait beaucoup d’activités politico-diplomatiques. En 1919 il y eut même une alliance entre ses représentants et ceux de l’Etat ottoman et l’autonomie du Kurdistan fut acceptée, mais cette décision n’a jamais été appliquée. Parmi les représentants de l’Organisation se trouvaient également Emin Ali et Murad Bedir Khan. A l’époque, Le parti d’Hurriyet et Itilaf ( Liberté et Alliance) étaient au pouvoir.

Les décisions de cette Alliance étaient les suivantes :

« 1 - A condition qu’il reste dans l’Etat ottoman, le Kurdistan sera autonome.

2 – Pour déclaration et application de cette autonomie les mesures nécessaires seront prises tout de suite ». (12)

5.2 - KÜRD İSTİKLAL KOMİTESİ

        Comité de l’indépendance du Kurdistan (le Caire, 1918)

Le Comité de l’indépendance du Kurdistan a été fondé en 1918, au Caire. Le secrétaire général du Comité était Sureya Bedir Khan. Sur le sceau de cette organisation était écrit en turc et en français : « Kürd İstiklal Komitesi / Comité de l’Indépendance Kurde ».

Selon le premier article du programme de cette organisation le but de l’Organisation était :

« La libération de la nation kurde du joug de l’esclavage, la réalisation de l’union du peuple kurde et l’indépendance du Kurdistan. » (13)

Le président de ce comité, Mardinzade Mehmed Arif pacha écrivit une lettre au représentant du peuple kurde Şerif pacha, afin qu’il la présente à la Conférence de Sèvres. Elle disait :

« Nous ne demandons notre indépendance ni aux forces européennes ni à la Conférence de la paix. Nous avons réalisé et déclaré notre indépendance grâce à Dieu tout puissant et à notre épée. (…) Nous n’avons pas peur des Européens (…) et nous sommes prêts à mourir en masse pour notre indépendance. » (14)

5.3 - KÜRT TEŞKİLATI İÇTİMAİYE CEMİYETİ

        Association d’organisation sociale kurde (İstanbul, 1920)

 En 1920, les indépendantistes se séparèrent de l’Organisation d’entraide du Kurdistan et fondèrent une nouvelle organisation nommée Société kurde d’organisation sociale. Le président de cette organisation était Emin Ali Bedir Khan.

En 1920, le journal d’Iqdame demanda à Seyid Evdilqadir, « Quelles sont les revendications principales de la nation kurde ? » Il répondit, « Que l’Etat reconnaisse l’autonomie de cinq ou six départements où les Kurdes vivent actuellement. » (27 Şubat 1920)

Dans le même numéro de ce journal, on trouve une interview du Dr. Abdullah Cevdet qui faisait, à l’époque, partie de ce groupe indépendantiste. Telle est sa réponse à l’une des questions : « Les Kurdes et les Arméniens sont obligés de vivre ensemble. (…) [Mais] il faut séparer l’administration des Kurdes et des Turcs. Et, pour les deux nations, l’autodétermination sera séparément bénéfique. »

Le président Américain, Woodrow Wilson a déclaré ces fameux 14 principes le 8 janvier 1918. Le 12ème principe était le suivant :

«… Aux autres nations qui sont maintenant sous la domination turque on devrait garantir une sécurité absolue de vie et la pleine possibilité de se développer d'une façon autonome... » (15)

Le président de la Société kurde d’organisation sociale, Emin Ali Bedir Khan et le secrétaire général de cette organisation, Memduh Selim, envoyèrent un télégramme au président Wilson le 17 juin 1920 disant que le Kurdistan avait besoin d’un accès à la mer et que ce port devait être le golfe d’Ayas en Méditerranée que les Turcs appellent « Yumurtalik Körfezi ». (16)

Pourtant, pendant la préparation du traité de Sèvres (10 aout 1920), bien que les Etats occidentaux aient donné un espoir aux Kurdes, ils leur ont demandé de cesser leurs activités, de rester tranquille et de ne pas créer de problème. Une fois que les décisions du traité de Sèvres eurent été prises, il était trop tard.

Certains Kurdes avaient prévu ce risque. Par exemple en 1919, dans le Journal du Kurdistan, un chroniqueur avait ainsi écrit ; « Le Kurdes dorment, ils sont dans un sommeil profond. Quand nous nous réveillerons, nous verrons un autre drapeau au-dessus de nos têtes. » (17)

Et ce fut le cas. La société kurde d’organisation sociale dessina le drapeau kurde et le déclara officiel.

Les femmes Bedir Khan

Avant de terminer l’histoire des Bedir Khan, il me faut mentionner également deux de leurs femmes. L’une d’entre elles est Leyla Bedir Khan qui fut célèbre pour ses danses stylisées en Europe. Elle était la fille d’Evdirezaq Bedir Khan. Grâce à elle, on vit pour la première fois une femme kurde réaliser son art en Europe et en Amérique. Dans plusieurs interviews elle parle de son père en tant que prince kurde, tué par des Turcs. (18)

La deuxième est Rewşen Bedir Khan. En 1957, elle participa en tant que déléguée kurde au Congrès anticolonialiste à Athènes. En 1944, elle avait déjà participé au Congrès des femmes du monde. C’était la première fois qu’une femme kurde participait à un congrès international.

Le dernier des princes

A ma connaissance, le dernier Bedir Khan fut Kamuran qui lutta activement pour la langue et la cause kurde. J’avais vu chez lui des feuilles blanches que Mustafa Barzani avait signées, ce qui signifiait qu’il pouvait nouer des relations diplomatiques au nom de Mustafa Barzani et communiquer les revendications du peuple kurde à l’échelle internationale.