[Article] le 01 Mar 2023 par

Droits linguistiques et droits de nommer les territoires : le cas des noms de lieux kurdes en Turquie

La police des mots à l’œuvre en Turquie

En février 2005, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) décide de subventionner une action de protection d’espèces en voie de disparition menée par la Fondation turque de Chasse et de Protection de la Vie Sauvage. Les animaux en question sont : le mouton Ovis Armeniana, le chevreuil Capreolus Capreolus Armenius et le renard roux Vulpes Vulpes Kurdistanicum. Dans ses correspon- dances avec la Fondation turque, le PNUD utilise classique- ment les noms tirés de la nomenclature scientifique interna- tionale, dont deux principes élémentaires sont l’usage des noms latins et la mention du lieu de vie des espèces. Le ministère des Forêts et de l’Environnement y verra une « menace contre l’intégrité de l’Etat » turcet rebaptise dere- cheflesanimaux.Ovis Armeniana devient Ovis Orientalis Anatolicus, Capreolus Capreolus Armenius se transforme en Capreolus Caprelus Capreolus, et Vulpes Vulpes Kurdistanicum, le renard roux du Kurdistan, s’appelle désormais en Turquie Vulpes Vulpes.

En novembre 2007, M. Derya Tutumel, conseiller de presse à l’ambassade de Turquie à Paris, réagit à l’article « Des frontières chamboulées par la guerre américaine », Monde diplo- matique1, « Je voudrais attirer votre attention sur une carte géographique que vous avez publiée pour illustrer [cet] article. Sur cette carte, la mention « Kurdistan turc » figure au sud-est de la Turquie ; or cette région n’existe pas. Je suis sûr que vous conviendrez avec moi que les désignations géogra- phiques doivent être conformes aux normes internationale- ment reconnues. Cette pratique étant observée dans tous les pays, il est donc nécessaire de tenir compte du fait que la dénomination « Kurdistan turc » n’existe pas parmi les noms géographiques répertoriés en Turquie… ».

En octobre 2014, la chaine américaine CNN International diffuse une carte du Moyen-Orient dans laquelle elle utilise la dénomination « Kurdistan region » pour désigner les territoires du peuplement kurde. Une association turque basée aux Etats-Unis proteste contre cette désignation et demande dans un courrier adressé au CNN International de rectifier cette erreur. La responsable adjointe de la chaine chargée des rela- tions avec le public, Allison Gollust, répond que la chaine n’a pas commis d’erreur en nommant la région du Kurdistan et qu’elle faisait référence aux habitants de cette région2.

En décembre 2014, les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur turc ont refusé dans un premier temps d’accuser réception des statuts du Parti de la Liberté du Kurdistan (PAK) sous prétexte que le nom du parti contient le topony- me Kurdistan. Alors que selon l’article 8 de la loi sur les sta- tuts, aucune autorisation préalable n’est requise pour la fon- dation d’un parti politique, le refus du ministère était fondé sur le nom du parti qu’il considérait incompatible avec la Constitution turque. L’accusé de réception a finalement été remis aux fondateurs du PAK le 11 décembre 20143. Cependant, un procès a été engagé contre le parti par la Cour constitutionnelle en mars 2015 pour violation de la loi sur son nom et ses objectifs.

Ces exemples, parmi beaucoup d’autres, montrent les déboi- res politico-judiciaires du Kurdistan comme désignant géo- graphique. Ils illustrent comment un nom de lieu est traqué dans le discours et dans les sphères de communication. Cette démarche d’occultation et de travestissement de la réalité n’est pas limitée aux frontières géographiques de la Turquie, mais exportée à l’étranger, à travers les relais de l’idéologie officielle turque. Une sorte de police des mots est instituée, dont la mission consiste à effacer l’inscription spatiale de la communauté kurde, y compris tous les noms de lieux typi- quement kurdes. En Turquie, l’idéologie officielle a été fon- dée sur le déni de l’existence des Kurdes. Puisque les Kurdes n’existent pas, il ne peut y avoir de noms évocateurs de la réalité kurde, fut-ce à travers des noms d’espèces animales et botaniques. C’est dans cette vertigineuse illusion qu'en sup- primant le nom d'une chose, on pourrait supprimer la chose elle-même, que les autorités turques ont appelé les Kurdes des « Turcs montagnards ». Qu’il s’agisse de la tentative d’in- visibilisation de l’ethnonyme Kurde, du toponyme Kurdistan ou des noms de lieux kurdes, la police des mots traque un droit élémentaire, celui de pouvoir, pour une communauté, de se nommer, dénommer ses lieux d’habitation et d’utiliser ces noms dans le discours. La violation de ce droit linguistique élémentaire équivaut dans le même temps à la violation du point de vue de la communauté kurde sur le monde.

Aun moment où le rôle de la langue dans la construction de l’identité des individus et des communautés est établi (Calvet 2001, Dorais 2004) et que le droit à l’enseignement des langues maternelles des communautés minoritaires est introduit dans plusieurs instruments et traités internatio- naux, la question de l’usage des noms de lieux prend une dimension toute particulière. C’est cette question que nous souhaitons examiner dans le présent article à travers le trai- tement des noms de lieux kurdes en Turquie.

Dans un premier temps, nous proposons de donner un aperçu des caractéristiques des noms de lieux. Cet aperçu sera suivi d’une présentation de différents instruments et traités internationaux qui préconisent l’usage des noms de lieux des groupes minorés. Nous donnerons ensuite les principaux repères de la politique de dénégation ethnique visant les Kurdes en Turquie et de son corollaire langagier, qui s’est traduit par l’interdiction de l’usage des termes Kurdes et Kurdistan dans le discours et par une vaste opération de renomination des localités kurdes. Enfin, nous allons examiner les débats sur la restitution des toponymes kurdes en Turquie à la faveur d’un assouplissement de la répression de 2011 à 2015. Comme nous le verrons, ces débats ont soulevé l’épi- neuse question des noms de lieux remplacés et/ou modifiés en Turquie et montré une demande sociale de la part de la population, des mairies et des associations.

1.1 - Le nom de lieu : un marqueur territorial et identitaire

Les noms de lieux font partie des noms propres, dont la toponymie, branche de l’onomastique spécialisée dans l’étude de ces mêmes noms, a fait son objet d’étude. Les noms de lieux se répartissent en plusieurs catégories : les toponymes pour désigner les villes, villages, régions, pays ; hydronymes pour nommer les cours d’eau, rivières, fleuves ; oronymes pour référer aux montagnes, monts, collines, et odonymes pour faire référence aux voies de communication telles que les rues, routes, boulevards, places, etc. Ces différents segments de l’environnement physique de l’homme sont incontourna- bles, puisqu’ils répondent à un besoin fondamental ; les noms de lieux constituent l’un des éléments les plus essentiels et les plus pérennes du paysage linguistique ambiant. Indispensables à l’orientation et à la localisation, ils peuplent les cartes, abondent dans la signalisation routière, émaillent les conversations. Mais les lieux ne sont pas nommés au hasard, car la nomination implique une prise de position vis- à-vis de l’objet nommé (Siblot 1995). Outre les facteurs cultu- rels, sociaux, politiques qui entrent en jeu lorsqu’il s’agit de nommer une de ces entités, la communauté mobilise également sa perception du monde pour catégoriser linguistiquement son environnement :

Le lieu possède toujours des noms tissés par ses résidents selon les images qu’il leur présente. Les formes naturelles aident à attribuer sens et couleur aux apparences: les Monts des Cinq Doigts, la Montagne chauve, la Colline rouge, etc. Les villages, les hameaux et les contrées s’identifient au nom du premier occupant, ou à un de ses attributs ou encore à un trait issu de l’imaginaire collectif de ceux qui, y vivant depuis si longtemps, ont conclu avec le lieu des pactes de bon voisi- nage. Ainsi, le lieu réside à son tour dans l’histoire humaine, au lieu d’en être chassé (Barakat 2000).

La perception du monde de la communauté imprègne donc le nom des lieux, qui renferme une analyse du monde extérieur qui lui est propre. Le nom et le point de vue qu’il véhicule sur le territoire reflètent l’inscription spatiale de la com- munauté qui l’a élaboré et construisent une mémoire socioculturelle qui marque le territoire. C’est pourquoi, les noms neserventpasqu’àdésignerleslieux,maisaussiàlesdéfinir, à poser des limites dans l’espace et dans le temps : ils expri- ment ni plus ni moins le rapport que les hommes entretiennent avec leurs lieux d’habitation. En marquant les territoires, les noms leur servent de support sémiotique et donnent également une visibilité de la langue qui les véhicule. Enfin, comme tous les noms propres, les noms de lieux résonnent de discours et de voix dans lesquels ils ont été utilisés et qui leur assignent diverses significations.

En situation de contact de langues et de cultures, les noms de lieux sont sans doute les meilleurs signes qui singularisent le marquage effectif et symbolique de l’espace par le groupe. Ils permettent de mesurer l’étendue et la durée de l’occupation du groupe sur le territoire.

1.2 - Les droits linguistiques comme droits fondamentaux des minorités à utiliser leurs toponymes

Les caractéristiques et les fonctions des noms de lieux que nous venons de mentionner brièvement ont débouché sur leur prise en compte dans les instruments et traités interna- tionaux sur les droits linguistiques des minorités. Parallèlement aux droits des minorités à l’éducation dans leur langue, ces instruments et traités préconisent aussi le droit pour ces minorités de pouvoir utiliser leurs noms de lieux dans les différentes sphères de la communication.

Ainsi, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée par le Conseil de l’Europe (1992), la Convention cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe (1995), la Déclaration universelle des droits linguis- tiques signée sous l’égide de l’UNESCO en 1996, les Recommandations d’Oslo concernant les droits linguistiques des minorités nationales (1998) et le Guide du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités (2017) sont les principaux instruments internationaux qui tradui- sent une prise de conscience de l’importance des noms de lieux pour les minorités linguistiques. Ces instruments intègrent dans les droits linguistiques non seulement le droit à l’éducation en langue minoritaire, mais aussi les droits des minorités à pouvoir faire usage de leurs noms de lieux. Quelles sont la nature et la portée de ces droits ?

Dans son article10, intitulé Autorités administratives et services publics, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires stipule « l'emploi ou l'adoption, le cas échéant conjointement avec la dénomination dans la (les) langue(s) officielle(s), des formes traditionnelles et correctes de la toponymie dans les langues régionales ou minoritaires ». Tout en mentionnant les mêmes droits, les Recommandations d’Oslo concernant les droits linguistiques des minorités nationales incluent les noms de rue et les indications topographiques :

«Dans les régions habitées par un nombre significatif de personnes appartenant à une minorité nationale, et quand la demande est suffisante, les autorités publiques doivent assurer la présentation, dans la langue minoritaire également, des dénominations locales, des noms de rues et des autres indi- cations topographiques destinées au public ». L’article 11 de la Convention cadre pour la protection des minorités nationales, au Conseil de l’Europe va dans le même sens en intégrant les noms de rues et la signalisation routière dans les langues minoritaires. Ces possibilités d’affichage ne sont pas des droits qui pourraient s’exercer dans toutes les situations minoritaires : les Recommandations d’Oslo comme la Convention cadre mettent l’accent sur l’affichage simultané dans la langue majoritaire (ou officielle) et dans la langue minoritaire s’il y a « une demande suffisante ». Par ailleurs, aucune contrainte n’est énoncée vis-à-vis des Etats en cas de non-respect de ces droits. On le voit, si des droits sont énon- cés, ils restent au bon vouloir des Etats signataires de ces instruments.

Ces énonciations timides des droits et l’absence de contraintes ont débouché sur la Déclaration universelle des droits linguistiques, signée en 1996 sous l’égide de l’Unesco. Elaborée à l’issue du Congrès Mondial des Droits linguistiques qui s’est tenu à Barcelone en juin 1996, la Déclaration constitue en elle-même une avancée majeure par la prise de conscience de l’importance des droits linguistiques comme des droits humains fondamen- taux et par la portée exhaustive des droits linguistiques, qui sont élargis au système onomastique de la communauté minoritaire. Ce système ne comprend pas seulement les toponymes, les noms de rue et la signalisation routière dans les langues mino- rées, mais également les ethnonymes, c’est-à-dire les noms pro- pres qui permettent de désigner la population, ainsi que des glottonymes, les noms de la langue d’une communauté.

Enfin,cet intérêt grandissant des droits linguistiques dans un monde globalisé et l’approche d’une société inclusive des altérités a conduit les Nations Unies à nommer un Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités, lequel a élaboré un Guide sur les questions linguistiques des minorités lin- guistiques.4 Le Guide considère que « dans les sociétés inclusives, l’identité individuelle a autant d’importance que l’identité nationale » et note le « caractère central de la langue comme mar- queur de l’identité des minorités linguistiques en tant que com- munautés. ». Dans Une approche d’écologie linguistique (Calvet 2017), (Calvet explique que..) la langue peut en effet être consi- dérée comme « la clé de l’intégration » et « au cœur de l’activité humaine, de l’expression personnelle et de l’identité »5. La reconnaissance de l’importance primordiale que les locuteurs attribuent à leur propre langue ne peut que favoriser le type de participation au développement sociétal. Le Guide élargit cette importance primordiale au domaine onomastique, en préconi- sant qu’« une approche non discriminatoire, inclusive et efficace des questions linguistiques devrait également impliquer l’utilisation de toponymes et de noms de rue en langues minoritaires dans les zones où les minorités sont concentrées ou ont été importantes du point de vue historique ».

Ces différents instruments émanant d’instances internationales dévoilent donc une autre dimension des droits linguis- tiques. Les noms de lieux, de populations et de langues font apparaître l’une des configurations essentielles entre le langage et les pratiques de catégorisation et de dénomination du réel dans les communautés linguistiques. L’importance des noms dans notre vie quotidienne, les fonctions qu’ils remplissent, leur élaboration sociale, culturelle et historique,font d’eux un patrimoine langagier transmis de génération en génération. Examinons maintenant comment les noms de lieux kurdes ont été traités en Turquie.

2 - La renomination du territoire kurde en Turquie

La question des noms de lieux kurdes est étroitement liée au sort qui a été réservé à la langue kurde en Turquie. Dès sa fondation en 1923 sur les ruines de l’Empire ottoman, l’Etat turc s’est lancé dans une entreprise d’homogénéisation de son paysage ethnique et linguistique afin d’aboutir à la création d’un État-nation. L’une des premières mesures prises fut un décret-loi publié le 3 mars 1924, qui a interdit les écoles, les associations et les publications kurdes (Bozarslan 1997, 366). Dans la foulée, un « plan de réforme de l’Est », lancé le 8 septembre 1925, préconisait des sanctions pour quiconque parleraitd’autreslanguesqueleturcdanslespréfectures,les mairies, les écoles et les marchés de 22 localités kurdes (Bayrak 2009). Mais les autorités turques ne se sont pas contentéesd’interdirelekurdecommelangued’éducation,et de communication sociale, elles ont aussi diffusé des préju- gésnégatifsàsonsujetafindecréerdessentimentsd’insécu- rité linguistique. L’existence du kurde en tant que langue a fait l’objet d’une remise en cause par les autorités turques, quinelareconnaissaientqueparlerecoursàlastratégiebien connuedesatellisation,«lephénomèneparlequell'idéologie dominante tend à « rattacher » un système linguistique à un autre auquel on le compare et dont on affirme qu'il est une « déformation » ou « une forme subordonnée » (Marcellesi 1981). Le kurde a été ainsi considéré comme un dialecte déformé du turc, du persan ou de l’arabe (Seferoglu & Turkozu1985).Unelangueminoréeaurararementfaitl’objet d’unetellerépression,cequiaconduitcertainslinguistesàla considérer comme une tentative de linguicide (Skutnabb- Kangas & Bucak 1994).

Cetterépressionlinguistiques’estégalementrépercutéedans le domaine des noms de lieux. En effet, parmi les pays qui exercentuncontrôlesurlesterritoireskurdes,c’estlaTurquie quiaprocédé,deloin,àlaplusvasteopérationderenomina- tion (Akin 2008). De 1913 à 1983, quelques 28 000 des 75 000 localitésontchangédenomenTurquie(Nisanyan2011).Les changementsnesesontpaslimitésauxseulstoponymes kurdes,maisontaussiconcernélestoponymesd’autresaltérités ethnolinguistiques historiquement établies en Turquie, commelesGrecs,lesArméniens,lesAssyriens,lesArabes,les Géorgiens. Ainsi, d’après Nişanyan, 4 200 toponymes grecs, 4 000 toponymes kurdes, 3 600 toponymes arméniens, 750 toponymes arabes, 400 toponymes assyriens, 300 toponymes géorgiens, 200 toponymes lazes ont été modifiés en l’espace de70ans(id.).Pourremplacercestoponymesindésirableset non conformes à l’idéologie nationale turque, quelques 15 000 toponymes turcs ont été créés et remis en circulation, sans aucun rapport avec les lieux qu’ils ont été destinés à désigner. Ainsi, la commune kurde Qilaban a été renommée Uludere, Dersîm est devenu Tunceli, Qoser s’est transformé en Kızıltepe, Pîran en Dicle, Hazo en Kozluk, Çolemêrg en Hakkari. En dépouillant les lieux de leurs noms, cette vaste opération de renomination a abouti à la création de territoires imaginai- res, évacués de toute empreinte politique de leurs résidents. Elle a en même temps modifié les rapports que les noms, et avec eux, le vécu et l’expérience de ses habitants, entretien- nent avec les lieux.

3 - Intermède 2012-2015 : assouplissement de la répression et tentative de restitution des toponymes

Aprèsl’arrivéeaupouvoirdugouvernementdel’AKP(Parti pour la Justice et le Développement) en 2002, une timide ouver- ture sur les droits linguistiques et culturels des Kurdes en Turquie a été observée. Des restrictions sur l’usage public et privédukurde,héritéesducoupd’Étatmilitairede1980,ont étélevées.L’attributiondeprénomstypiquementkurdesaété également autorisée en juin 2003. Une chaine de télévision publique diffusant des émissions en kurde 24/24 a été créée en 2009,toutcommedeschairesdeLangueetLittératuredansplu- sieursuniversités(Mardin,Hakkari,Muş). Lekurdeaétéintroduitdanslesystèmeéducatifàtitreexpérimentaldepuisl’an- née 2013 dans les régions à majorité kurde.

Si ces ouvertures ne se sont pas traduites par une reconnais- sanceofficielledukurdeenTurquie,ellesontpermisderedé- couvrir la vivacité des altérités ethnolinguistiques ; malgré des politiques d’assimilations linguistique et culturelle for- cées, le pays comptait encore de nombreuses langues et cul- tures6. Le devenir des altérités a été au cœur de nombreux débats médiatiques qui ont également porté sur la question delarestitutiondestoponymesmodifiésdepuislafondation de l’État turc. Les partis politiques, associations, citoyens ou chercheurs, comme Ibrahim Sediyani (2009) et Sevan Nişanyan (2011), ont contribué aux débats qui présageaient en 2012 un début de restitution des toponymes. Si cette ouverture sans précédent dans l’histoire de la république de Turquie a été favorisée par les négociations d’adhésion du pays à l’Union européenne, elle semble se refermer de nos jours.Eneffet,lesrestrictionsdeslibertéspubliques,lapéna- lisation de la liberté d’opinion des écrivains, intellectuels, journalistes, le limogeage de milliers d’universitaires et l’ar- restationdecertainsd’entreeux,traduisentunretournement de la politique libérale qui a prévalu de 2002 à la fin des années 2010. Malgré ce retournement inattendu de la situa- tion, la restitution des toponymes a été au centre de nom- breusesmanifestations,pétitions,projetsdeloi,quiontmon- tré un grand intérêt de la population sur cette question. Une véritable demande sociale s’est exprimée en faveur de la res- titution des noms de lieux, dont nous souhaitons rendre compte dans la section suivante. Nous allons examiner les finalités et les modes d’action des acteurs investis dans les débats et les tentatives de restitution des toponymes.

3.1 - « nous réclamons la restitution de tous nos noms »

Dans la foulée des débats sur la restitution des toponymes, le parti pro-kurde de la Paix et de la Démocratie(BDP),présent au parlement turc, a déposé le 17.10.2012 une proposition de loi qui préconisait la création d’un « Conseil d’Examen de Restitution des Noms », chargé de restituer tous les noms de lieux (lieux-dits, communes, villages, sous-préfectures, pré- fectures, régions, etc.) changés depuis 1913. Bien que la pro- position de loi n’ait pas été retenue, le BDP a présenté le 25.11.2013unenouvellepropositiondeloiintitulée

«PropositiondeloirelativeàlaRestitution»enlimitantcette fois son application à la seule préfecture de Şanlıurfa. Elle préconisait notamment que le chef-lieu de la préfecture, Şanlıurfa, retrouve son ancien nom, Reha, et que le nom des dix sous-préfectures, à savoir Birecik, Hilvan, Siverek, Bozova, Harran, Akçakale, Suruç, Viranşehir, Halfeti, situées dans ses territoires administratifs, soit restitué et renommés respecti- vement Bêrecûk, Curnê Reş, Girê Sor, Heweng, Herran, Kaniya Xezalan, Pirsus, Serê Kanî, Til Muzin, Xalfetî.

Cette nouvelle proposition de loi n’a pas non plus été adop- tée par le parlement turc, et il a fallu attendre le « Paquet démocratique » présenté par le gouvernement de l’AKP au mois de septembre 2013 pour rendre possible, pour la pre- mière fois dans l’histoire de la république turque, la restitu- tion de noms des localités changés. En effet, le « Paquet Démocratique » a modifié la loi des Conseils généraux en 2014 en leur attribuant le pouvoir de (re)nomination des villages.Auparavant, l’attribution des noms de villages rele- vait exclusivement des pouvoirs du ministère de l’Intérieur. La loi modifiée autorise à donner d’autres noms que des noms turcs aux villages. Cependant, la loi a exclu les noms des villes et préfectures, ainsi que ceux des rivières, monta- gnes,plaines,vallées,etc.,égalementchangéssousla républiqueturque. Parailleurs,lespréfetsderégiondoiventvali- der les propositions de restitution de noms faites par les Conseils Généraux.

Parallèlement aux débats médiatiques et parlementaires, les habitants se sont approprié la question de restitution des noms de leurs lieux d’habitation. A l’exemple de ceux de la villedeTunceli,leshabitantsdecertainesvillessesontcons- tituésencomité,quialancéunecampagnepourlarestitution du nom de Dersîm7. De même, une autre campagne de péti- tion, intitulée « Nous réclamons la restitution de tous les noms » a été lancée cette fois pour que tous les noms changés soient restitués8.

3.2 - Affichage bilingue et réappropriation territoriale

Lesdébatssurlarestitutiondestoponymesontégalementeu un impact sur l’affichage bilingue kurde-turc des noms de localités sur les panneaux de signalisation routière. Cet affi- chage est intervenu dans un contexte qui a vu la renaissance delalanguekurdeaprèsplusde80ansd’interdictiondepra- tique écrite et, parfois, orale de la langue (Skutnabb-Kangas & Bucak 1994). Comme nous l’avons souligné plus haut, les interdictions sur l’usage du kurde ont été progressivement levéesàpartirde2002.Cettelevéed’interdictionsaouvertun espacepublicpourlalanguekurdedanslesmédias,dansles associations, les universités, dont elle était exclue. De fait, cette levée des interdictions a permis aux municipalités de restituerlestoponymeségalementsurlespanneauxdesigna- lisationroutière.Pourunelanguelongtempsinterditeetres-tée dans le domaine de l’oralité, cet affichage constitue une promotion sans précédent. En marquant les territoires, les noms leur servent de support sémiotique et donnent une visibilité de la langue qui les véhicule. L’affichage bilingue apparait comme un moyen langagier de réappropriation ter- ritoriale. Il légitime par ailleurs le kurde comme langue de communication officielle. À l’instar des départements de Mardin, Van, Diyarbakır, où le nom de 91 villages a été écrit enkurdeetenturcsurlespanneauxdesignalisationroutière, certaines mairies ne se sont pas contentées de l’affichage bilingue kurde-turc, mais ont intégré aussi d’autres langues lorsque celles-ci sont parlées dans la région. La mairie de Mardin a également utilisé l’assyro-chaldéen dans les pan- neauxdesignalisationroutière.Cespratiquesd’affichagequi promeuvent le plurilinguisme marquent également le retour des refoulés, toutes ces altérités ethnolinguistiques qui ont été longtemps réprimées en Turquie et qui ont refait surface à la faveur de la timide ouverture démocratique.

3.3 - La nomination des rues et la production de sens

Une autre dimension de la restitution des toponymes s’est répercutée dans le domaine des noms de rues. Les noms de rues,oulesodonymes,fontpartiedelacatégoriedestopony- mes qui servent à désigner et à identifier l’espace public.Au début, les odonymes étaient essentiellement indiciels, car ils étaient fixés en rapport avec la description d’une caractéris- tique naturelle ou sociale des rues. Les dénominations du typeSente des Loups, Rue des Acacias, Allée des Cordonniers, etc. témoignent encore de la manière dont on a pu, dans le passé, prendre un aspect de la rue comme moyen de son identifica- tion. Ce procédé de dénomination est sans doute celui qui fait apparaître le plus un lien entre la rue et le nom qui sert à sa localisation linguistique. Cependant, l’urbanisation rapide s’esttraduiteparlaconstructiondesruesetlanécessitédeles nommer pour les identifier. Mais, la dénomination n’est pas unedésignation«objective»etimposeuneprisedeposition en regard de la chose (Siblot 1992). Autrement dit, le fait de sélectionnerunnomparmiunevariétéinfiniefaitnécessaire- ment intervenir des choix manifestes. La dimension langa- gière de ces préférences tient au fait que, en choisissant le nom de tel personnage pour dénommer telle rue (rue Voltaire), le nom de tel événement historique pour désigner telleplace(placedelaLibération),ontendàsignifiercesenti- tés territoriales.

3.3.1 - Les noms de rues dans les localités kurdes et la réifi- cation de l’ordre

Cefonctionnementquifaitdesnomspropresunoutildepro- duction de sens est particulièrement repérable dans l’espace public des villes kurdes. En effet, la plupart des odonymes des villes kurdes reflétaient, jusqu’en l’an 2000, le point de vue officiel de l’État turc. L’attribution des noms aux rues relevait certes de la compétence des conseils municipaux. L’article 18 de la loi des municipalités stipule en effet que les conseils municipaux peuvent pour « les places, rues, ruelles, parcs; décider de construire ou de fusionner les quartiers, fixer ou changer leurs noms et leurs frontières; diffuser des symboles,flambeauxetautressignespromouvantlacommu- ne ». Cependant, les mairies étaient généralement gérées par les partis politiques turcs, aucun parti pro-kurde n’existait encorejusqu’auxannées1990.Defait,lesnomsdepersonna- lités politiques et de héros turcs, des événements fondateurs de l’histoire turque ont été attribués aux rues. On ne compte paslenombrederuesportantlenomd’Atatürk, fondateur de la république turque; İsmet İnönü, Premier ministre sous Atatürk et son successeur politique; Cemal Gürsel, général de l’arméeturqueet4e présidentdelarépubliqueturque;Mîsakı Milli, pacte national turc de 1920 affirmant l’indivisibilité des territoires de la Turquie; 19 Mayıs, marquant l’arrivée de Mustafa Kemal à Samsun, le 19 mai 1919. L’aberration atteint ses limites lorsque le nom de la même personnalité est donné à deux rues de la même ville. C’est le cas de la ville de Kahta, située dans la préfecture d’Adıyaman. Une rue principale de la ville comporte le nom de Mustafa Kemal; une autre rue, parallèle à la rue Mustafa Kemal, porte le nom d’Atatürk. Or, ce dernier, qui signifie littéralement «Ancêtre Turc», est le surnom donné à Mustafa Kemal en 1934 par l’Assemblée nationale turque. Ces noms turcs qui quadrillent l’espace urbain kurde constituent une autre façon de l’occuper et d’af- firmer la pseudo-turcité du territoire kurde. Reflets des rap- ports de force sur le terrain (seul celui qui a la maîtrise du ter- ritoire a le pouvoir de le nommer !), ces noms légitiment l’or- dre socio-politique mis en place par le pouvoir. Ils sont des- tinés à devenir des « lieux de mémoire » (Nora 1986) et par- ticiper à la construction de l’identité nationale turque.

3.3.2 - La renomination de rues et la promotion de l’identité kurde

Le 09/11/2014, le conseil municipal de Şırnak dirigé par le HDP(PartiDémocratiquedesPeuples)avotélechangement d’odonymes de deux rues principales de la ville; la rue Cumhuriyet « République » est devenue rue Azadî « Liberté », et la place Ömer Kabak a pris le nom d’Aşîtî « Paix ». Le conseil municipal a également changé le nom de plusieurs de ses quartiers. Ainsi, le quartier Yeni Mahalle « Nouveau Quartier » a pris le nom de Cudî, le quartier İsmetpaşa est devenu Herekol, le quartier Vakıfkent est renommé Kobanê et le quartier Yeşilyurt « Pays vert » est renommé Botan. L’ensemble de ces renominations s’inscrivent dans une démarchederéappropriationterritorialeetdepromotiondes droits de l’homme, du patrimoine culturel et naturel kurde. En effet, tous les nouveaux noms sont issus du kurde. L’attribution des noms kurdes à l’espace public est en soi un symbolepourunelanguequiaétélongtempsinterdite.Mais la nomination n’est pas une opération objective, elle impose des choix par une multitude de noms possibles. Ainsi, cer- tains noms se rapportent aux valeurs de démocratie et de droitsdel’homme.LesnomsAzadî « Liberté » et Aşîtî « Paix » qui remplacent respectivement Cumhuriyet « République » et Omer Kabak, qui est le nom propre d’un notable de la ville, reflètent de ce point de vue le programme politique du HDP. D’autres noms valorisent le patrimoine naturel du Kurdistan: Cudî et Herekol sont le nom de deux montagnes situées au Kurdistan et connues pour être des lieux de résistance de la guérilla kurde; Botan désigne un affluent du fleuve Tigre et renvoie également à la principauté de Cizira Botan qui a exis- té au 19e siècle. Enfin, Kobanê qui désigne la ville kurde de Syrie, symbolise la résistance kurde contre les attaques des djihadistes de l’organisation terroriste État islamique en sep- tembre 2014 et peut être lu comme une volonté d’établir une solidarité entre Kurdes.

ÀBitlis,leschangementsdenomssemblentsurtoutêtredes- tinésàpromouvoirdespersonnalitéskurdesoriginairesdela ville. Par délibération du Conseil municipal de la ville en date du 19/11/2014, la rue Nur a pris le nom de Bediüzaman Saidi Kurdi, la rue Kazımdirik est devenue la rue Kemal Fevzi, la rue Şerefiye a été renommé rue Şeref Han. Enfin, la rue Sapkor a pris le nom de William Saroyan. Les trois premières personnalités occupent chacune une place centrale dans l’his- toire kurde. Bediüzaman Saidi Kurdi, originaire de la région de Bitlis (1876-1960), était un théologien auteur notamment de Risale-i Nur, « Traités de Lumière ». Cet ouvrage est une exé- gèse du Coran. Il est constitué de 14 volumes pour un total de 6 000 pages. Kemal Fevzi, également originaire de la ville, est connu pour sa participation au soulèvement kurde de 1925. Il avait été pendu sur la place de la Grande Mosquée de Diyarbakir avec ses six compagnons. Şeref Han, plus connu sous le nom de Şerefhanê Bedlîsî « Şerefhan de Bitlis », était un écrivain, penseur et politique kurde. Il est notamment l’au- teur du livre Şerefname, écrit en 1597. Le livre est considéré comme le plus ancien ouvrage de l’histoire kurde. Enfin, William Saroyan était un écrivain arméno-américain, auteur de nombreuses pièces de théâtre et de nouvelles basées sur son expérience de fils d’immigrés arméniens. Son père était originaire de Bitlis et avait émigré aux États-Unis en 1905.

De la même façon, les changements de noms dans la ville de Cizre, intervenus lors du conseil municipal du 11/12/2014, s’inscrivent dans une volonté de promotion de personnali- tés marquantes de l’histoire politique et culturelle kurde. Ainsi, la rue Eski Hastahane « Ancien Hôpital » est devenue la rue Mir Bedirxan, le nom de Seyit Rıza a été donné à la rue Mezbahane « Abattoir », le nom de Şerafettin Elçi remplace la rue Belediye « Mairie » et la rue İdil, nom d’une ville voisine, est renommée par Arîn Mîrxan. Mir Bedirxan joua un rôle important dans l’histoire kurde, puisqu’il a dirigé à l’âge de 18 ans la principauté kurde de Cizira Botan, en 1821. Seyit Riza fut un leader de la résistance kurde dans la ville de Tunceli face aux attaques de l’armée turque à la fin des années 1930. Dans les mouvements kurdes, il symbolise la résistance à la répression militaire et politique. En effet, Seyid Riza et son fils furent arrêtés par les autorités turques qui les avaient invités à des pourparlers. Un tribunal mili- taire d’exception les condamne à mort. Alors que la loi turque interdit la pendaison des personnes mineures et âgées (Seyit Riza avait 78 ans et son fils Resik Huseyin 17 ans), un tribunal décide d’abaisser l’âge de Seyit Riza à 54 ans et d’élever l’âge de son fils à 21 ans. Dans son dernier vœu, Seyit Riza demande à être pendu le premier, avant son fils. Son vœu ne sera pas exaucé et son fils sera pendu avant lui, en sa présence, le 18 novembre 19379. L’attribution du nom de Seyit Riza constitue donc un symbole fort de la part de la mairie qui commémore ainsi la mémoire du leader kurde. Şerafettin Elçi, né à Cizre, était un juriste et politicien kurde qui fut ministre des Travaux publics à la fin des années 1970. Il est connu pour son engagement politique en faveur d’une solution pacifiste à la question kurde en Turquie. Enfin, Arîn Mirxan, militante des Unités de Protection du Peuple tuée au mois d’octobre 2014 dans la ville de Kobanê en Syrie, symbolise la résistance face à l’ob- scurantisme islamiste.

Parallèlement aux personnalités politiques, la mairie de Cizre célèbre aussi les personnalités kurdes qui ont marqué lalittératureetlalanguekurdes.Eneffet,la rue Dere « Ruisseau » porte désormais le nom de Melayê Cizirî, la rue Yakışan « Ajusté, Digne » est renommé rue Feqiyê Teyran. Melayê Cizîrê (1570-1640) et Feqê Teyran (1590-1660) sont tous les deux connus pour être les premiers auteurs clas- siques de la littérature kurde.

Dans le département de Batman, c’est dans la nominationde nouvelles rues que les préférences de la mairie se mani- festent. En effet, Batman, chef-lieu du département, a presque doublé sa population en l’espace de vingt-cinq ans, passant de 344 669 habitants en 1990 aux environs de 610000habitantsen2019.Cetteaugmentationsignificativede la population a étendu géographiquement la ville, donnant lieu à la construction de nombreux quartiers. La nomination des nouvelles rues traduit la tendance relevée dans les trois autresvilles.Ainsi,deuxruesportentlenomde Yaşar Kemal et celui d’Ahmet Arif. Yaşar Kemal (1923-2015) était un écrivain kurde qui a écrit plus de 50 romans, dont laSaga Memed Le Mince, les trilogies Au-delà de la montagne, Salman le solitaire, Une histoire d'île. La plupart de ses ouvra- ges ont été traduits dans une trentaine de langues étrangè- res. Ahmet Arif (1927- 1991) était un poète kurde, connu pour son engagement politique. Le nom de deux autres rues traduit l’attachement de la ville aux droits de l’homme et à la démocratie: en effet, les nouvelles rues ont été nommées İnsan Hakları « Droits de l’homme » et Demokrasi

« Démocratie ». Par ailleurs, la ville célèbre également deux lieux symboliques à travers les nouveaux noms; il s’agit de Lalêş, lieu du pèlerinage de la communauté yézidie au Kurdistan irakien et de Mezopotamya « Mésopotamie », qui renvoie au croissant fertile situé entre les fleuves du Tigre et de l’Euphrate que les Kurdes considèrent comme le berceau de leur pays.

4 - Pour ne pas conclure

Comme on vient de le voir, l’intermède de 2012-2015, carac- térisé par une timide ouverture démocratique et les débats portant sur la restitution des noms de lieux durant cette période, a soulevé un grand intérêt au sein de la population etdesacteurspolitiquesetdesespoirspourlarestitutiondes nomsdelieuxkurdes.Lapopulationetlesacteurspolitiques se sont emparés de cette question par de nombreuses mani- festations et mobilisations. Cet intermède a permis aux mai- reskurdesdeprocéderàdesrestitutionsdenomsdelieux,de villages, de quartiers, de rues, etc. et ainsi de signifier l’ins- cription spatiale de la communauté kurde. Mais les maires kurdes ont été déchus de leur mandat à la suite de la tentati- veduputschdu15juillet2016,quiaaggravélasituationdes droits de l’homme. La grande purge en cours10 touche tous lessecteursdelasociétéetfaitpeserunsérieuxdangersurla démocratie dans le pays. Le climat tendu créé par le putsch, les arrestations massives et l’amplification de la guerre dans leKurdistannesemblepasêtredenatureàfavoriserlaresti- tution des noms. Qui plus est, le processus de restitution des noms de lieux n’a pas été poursuivi par des administrateurs nommésàpartirde2016àlaplacedesmairesdémocratique- ment élus.

Malgré cela, la plupart des mairies placées sous l’administration de l’Etat ont retrouvé leurs maires à l’issue des élections municipalesdu31mars2019.Onpeutpenserquecesmaires démocratiquement élus reprendront le travail de restitution desnomsinitiésparleursprédécesseurs11.Parallèlementaux initiatives des mairies soumises au contrôle du pouvoir turc, il incombe dans le même temps aux acteurs, locuteurs, asso- ciations kurdes de promouvoir les noms de lieux kurdes en lesutilisantdansleurscommunicationsetinteractionsquoti- diennes. Ces noms socialement et culturellement élaborés constituentunhéritagelangagierqu’ilconvientdepréserver. Puissantsmoyensd'identificationetdereconnaissancesocia- les,lesnomsjouentunrôlefondamentaldansla(re)construc- tion de l'identité de soi et de l'identité de l'autre ; ils permet- tentd’entretenirunlienaveclatradition,laculture,l’histoire et l’appartenance des communautés.